
Samedi dernier, Ruby Greer, résidente de Stanstead, a fêté ses 100 ans! Pour marquer l'événement, l'église unie Centenary avait organisé une journée portes ouvertes avec Ruby comme invitée d'honneur. Une multitude de gens s'y sont rendus, y compris le maire, Raymond Yates, qui a remis une plaque souvenir à madame Greer au nom de la Municipalité, sur laquelle est gravé : "Congratulations Ruby, we are so proud to have you among us here in Stanstead, and we wish you many more happy years to come! (Félicitations, Ruby, nous sommes très fiers de vous compter parmi nous ici à Stanstead. Nous vous souhaitons de nombreuses autres heureuses années!)"
Ruby avait accepté de me rencontrer en entrevue quelques jours avant la grande fête. Il était dix heures; elle me fit entrer dans un joli petit salon à la résidence La Maison blanche, résidence pour personnes âgées sur la rue Dufferin à Stanstead. Des cartes de souhaits se trouvaient partout. "Je vois que vous avez reçu beaucoup de courrier dernièrement! - Oui, me répondit-elle avec un large sourire, et j'attends d'autres visiteurs encore à midi. Mais ne t'en fais pas, nous avons le temps. - Dans ce cas, Ruby, nous allons commencer tout de suite parce que j'ai plusieurs questions à vous poser et cent ans est une longue période à couvrir!"
Voici quelques extraits de notre conversation :
MF - Ruby, quand et où êtes-vous née?
RG - Je suis née sur la ferme de mes parents le 2 août 1903, entre Waterloo et West Shefford, dans le comté de Shefford, près de ce qu'on appelle aujourd'hui Bromont. Nous habitions dans une petite ferme et nous en vivions : bétail, chevaux et cultures. À ma naissance, je m'appelais Ruby Sparling - un vrai nom irlandais. Mes parents se nommaient Harvey et Elizabeth. J'ai eu deux sœurs, Mabel et Hazel.
MF - Votre famille était-elle religieuse?
RG - Nous avons été élevées dans la religion méthodiste. Mes sœurs et moi allions à l'église et au et à l'école du dimanche toutes les semaines, mais mes parents n'y allaient pas. Nous sommes devenues amies du prêtre, peut-être parce que ma mère pensait ainsi sauver nos âmes. (Petit rire)
MF - Quand avez-vous quitté la maison familiale?
RG - Lorsque je suis allée étudier au Collège Macdonald, après avoir terminé mon école secondaire à Waterloo. Mais il s'est passé bien des choses pendant ce temps-là -- beaucoup, oui.
MF - Que voulez-vous dire?
RG - Voilà. Lorsque j'avais six ans, notre maison a brûlé complètement. C'est arrivé en décembre. Ma sœur et moi étions en visite chez notre tante et oncle à huit milles de là, dans un petit village appelé Warden. Il n'y avait pas de téléphone à cette époque, alors on ne pouvait pas communiquer. Mon oncle avait l'habitude de se rendre au village pour bien se rincer la dalle une ou deux fois par semaine. Il y rencontra mon père qui cherchait du bois pour reconstruire la maison. Tu vois, nous ne savions même pas que la maison avait passé au feu. En fait, lorsque le feu s'est déclaré, mon père était au mont Shefford en train de couper du bois. Ma mère voulait envoyer ma sœur dans la montagne pour avertir mon père que la maison était en feu. Mais ma sœur ne voulait pas y aller; ma mère a dû utiliser une petite baguette pour faire démarrer ses jambes.
MF - Et puis, qu'est-ce qui est arrivé?
RG - Les gens étaient tous partis à l'église; à leur retour, ils ont remarqué de la fumée qui sortait du toit. Ils ont tous arrêté leur carriole et chevaux pour aider ma mère. Ils lançaient par les fenêtres les objets qui auraient dû être transportés et transportaient ceux qui auraient pu être lancés. Tout était cassé ou endommagé. Et le lendemain matin apporta la pire tempête jamais vue. Les vêtements étaient tout entortillés autour des poteaux de clôture. Il tomba beaucoup de neige... beaucoup! Une des pires journées d'hiver que tu puisses imaginer. Ce fut l'un de mes premiers mauvais souvenirs.
MF - Ruby, quel est votre souvenir le plus ancien?
RG - C'est lorsque je fus baptisée. J'avais cinq ans. Je me rappelle que le prêtre est venu à la maison et qu'il m'a prise dans ses bras.
MF - Quel fut votre premier emploi?
RG - C'est lorsque je suis allée enseigner à Shawbridge. J'enseignais à l'école primaire - tous les niveaux jusqu'à la 7e année. Puis, je suis revenue à Waterloo où j'ai enseigné en 8e année pendant deux ans à la Waterloo High School. C'est alors que j'ai commencé à fréquenter Bill Greer, un garçon du coin. Ses parents voulaient que Bill devienne fermier mais il n'en avait pas l'étoffe. Il s'est lancé dans les assurances. Puis, nous nous sommes mariés, je pense que c'était en 1925. À cette époque, je n'enseignais plus.
MF - Pourquoi vous et Bill avez-vous déménagé à Stanstead?
RG - L'année après notre mariage, Bill fut envoyé ici par sa compagnie d'assurances comme agent régional. C'était en 1926. Nous avons emménagé d'abord dans un petit appartement à Rock Island, puis nous sommes montés à Stanstead.
MF - Ruby, reculez un peu dans le temps. Vous souvenez-vous de l'époque où seulement des chevaux et des bogheis circulaient dans les rues?
RG - Oui, je me souviens très bien du temps où il n'existait pas d'automobiles, seulement des chevaux. Je me rappelle la première automobile à Waterloo. L'homme possédait un magasin de musique. Musique, machines à coudre et pianos, des objets du genre. Et il cherchait toujours à faire des affaires. Il savait que ma mère pouvait avoir besoin d'une nouvelle machine à coudre, alors il est venu dans son automobile et nous a emmenés faire un tour. Ce fut le moment le plus excitant de notre vie! Nous avions tous mis un foulard sur nos têtes, des cache-poussière et il nous a conduits sur la route pendant un mille. L'automobile était décapotable. C'était en 1913 ou à peu près. C'était la toute première automobile à Waterloo.
MF - Vous devez avoir vu apparaître toute une série de nouveautés en cent ans. Quelles autres inventions vous ont le plus impressionnée?
RG - Je me rappelle le téléphone. Mon père aimait essayer de nouvelles inventions; alors, lorsque le téléphone devint populaire, nous en avons eu un. Nos voisins en avaient un aussi, mais nous n'étions que six aux alentours de West Shefford qui en possédaient un. Lorsque le téléphone sonnait, tout le monde courrait au téléphone pour avoir des nouvelles, peu importe si on connaissait les gens ou pas, une vraie party line. Si on ne connaissait pas l'interlocuteur, on ne faisait qu'écouter. On n'osait jamais parler contre quelqu'un au cas où ils écouteraient. (Petit rire)
MF - Et la radio?
RG - J'étudiais au Collège Macdonald lorsque j'ai entendu la radio pour la première fois. Un homme était arrivé avec une radio et j'ai entendu une musique. Je ne pouvais pas trouver d'où elle sortait, mais je n'ai pas voulu le laisser paraître.
MF - Et l'époque de la Dépression? Vous souvenez-vous de la Grande Dépression un peu?
RG - Oh oui! Mais ce n'était pas un sujet dont nous parlions. Mon mari a perdu son emploi dans l'assurance. Il est allé à la compagnie Butterfield à Rock Island pour trouver du travail et il en a trouvé un parce qu'il avait la double citoyenneté. Il était né aux États-Unis, alors il pouvait travailler des deux côtés du plancher de la manufacture - au Canada et aux États-Unis. C'était dans les années 1932 ou 1933. Bill a travaillé à la Butterfield pendant à peu près dix ans. Mais il aurait tout aussi bien pu ne pas travailler parce qu'il gagnait un salaire de crève-faim. Il ramenait 5,55 $ à la maison par semaine. Ce fut une période terrible, la Dépression. Beaucoup de personnes très pauvres sans argent. Nous n'avions pas d'argent. Parfois, je ne pouvais même pas trouver cinq sous pour acheter quelque chose. Beaucoup ont perdu leur maison.
MF - Quand avez-vous recommencé à enseigner?
RG - Au début de la Dépression. Quelqu'un m'avait dit qu'on avait besoin d'une maîtresse d'école suppléante à l'ancienne école modèle qui était affiliée au Stanstead College. J'y ai enseigné pendant trois semaines. Peu après cette époque, nous sommes allés vivre chez monsieur Daly, un monsieur âgé. Nous avons déménagé chez monsieur Daly; j'aidais à préparer les repas et mon mari aidait à prendre soin de monsieur Daly. Nous n'avions pas à payer de loyer, seulement à acheter de la nourriture pour mettre sur la table. Nous sommes demeurés là pendant deux ans, ce qui était un cadeau du ciel. Ce n'est qu'après le début de la guerre que je suis retournée à l'enseignement à temps plein. Tous les jeunes hommes avaient été licenciés encore une fois, alors on avait besoin de maîtresses d'école. J'ai enseigné de… 1944, je pense, jusqu'à ma retraite en 1967. Mais, avant que je prenne ma retraite, j'ai enseigné pendant trois ans dans la nouvelle école de l'autre côté de la rue, à Sunnyside.
MF- Vous devez certainement connaître plusieurs bonnes histoires sur la vie sur la frontière - la contrebande et autres?
RG - J'en connais mais je ne peux pas te les raconter. Je peux t'en dire une par contre que mon gendre Harold m'a racontée. Il m'a dit qu'une chose le dérangeait par rapport à la frontière - sa belle-mère était une contrebandière. Il parlait de moi. (Petit rire)
MF - Ruby, de quoi êtes-vous la plus fière en 100 ans?
RG - Hum… Je crois que j'ai toujours travaillé très fort… Mais, j'ai toujours trouvé qu'il fallait avoir des moments loin du travail. J'ai toujours joué aussi! Lorsque j'enseignais, je jouais au curling et au golf. C'était de mon époque. Je pense que c'était important et ça devrait être important que les gens aient du temps libre pour eux-mêmes… J'ai aussi beaucoup travaillé pour la ville. Je ne crois pas que beaucoup le sachent. Les gens oublient facilement tout ce que vous avez accompli… J'ai aidé, Lady Banting et moi, à embellir la ville. Il y avait des arbres qui tombaient, des maisons en décrépitude. Nous allions à toutes les réunions du conseil municipal tant à Stanstead qu'à Rock Island. C'était en 1967, année du Centenaire du Canada; personne d'autre ne voulait rien faire. Alors, nous avons décidé de nous en occuper.
MF - Quel est votre passe-temps favori dans vos vieux jours?
RG - Parler avec les gens. J'aime ça.
MF - Quelle sorte de ligne directrice essayez-vous de conserver dans votre vie?
RG - Je crois qu'on doit persévérer. On ne doit pas baisser les bras facilement; on doit continuer. L'attitude est très importante, oui, très importante. Et d'être heureux et d'essayer de rendre les autres heureux est très important… J'avais l'habitude de dire, après la mort de mon mari en 1974, - nous avons été mariés pendant quarante-neuf ans - lorsqu'on est déprimé, on peut pleurer dans sa chambre, mais lorsqu'on sort dans la rue, on a l'air enthousiaste et heureux. N'est-ce pas? (Petit rire)
MF - Ruby, vous rigolez tout le temps. Est-ce l'un des secrets de votre longévité?
RG - Je crois que oui.
MF - Diriez-vous, Ruby, que vous avez vécu une vie très heureuse?
RG - Je crois que oui, à tout bien considérer. Pendant la Dépression, il fut des moments où la vie était difficile, vraiment difficile - parce que j'ai eu mes enfants à cette époque. Le manque d'argent était difficile à vivre. La Dépression est l'un de mes pires souvenirs, mais j'essaie de ne pas y penser.
MF - Ruby, combien avez-vous eu d'enfants?
RG - Deux filles et deux garçons. J'ai perdu un de mes fils lorsqu'il avait 62 ans. Mais j'ai vingt petits-enfants et vingt-quatre arrière-petits-enfants.
MF - C'est assez impressionnant, Ruby! De quoi rêvez-vous le plus pour le futur?
RG - Je vis une journée à la fois… J'anticipe avec joie les visites de ma famille.
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